Alphonsine David est une artiste complète, abordant avec un égal bonheur
tous les médias : peinture, dessin, sculpture, photographie, installation,
performance, vidéo… Ses travaux font souvent référence au corps humain et,
plus précisément, à son écorce externe, à sa peau.
Dans ses vidéos, elle n'hésite pas à se mettre elle-même en scène,
dans des montages qui fusionnent des images cinématographiques et
des animations de dessins à la mine de plomb ou au pastel.
Ses séquences d'images entraînent le
spectateur dans une forme de délire étourdissant où, perdant ses
références traditionnelles, il devient sujet à
des hallucinations visuelles, à des vertiges
qui lui font perdre le sens de l'équilibre et renoncer à toute velléité
de positionnement par rapport à
ses repères familiers.
Pour ses œuvres en volume et ses installations les plus récentes,
elle exploite des blisters servant au conditionnement de médicaments.
Elle les agrafe pour former des carapaces
d'improbables tatous, pangolins ou autres animaux à écailles. Les
structures résultantes peuvent être refermées
sur elles-mêmes, tels des gastéropodes, ou expansives, faisant penser à
des tentacules d'un monstre menaçant à peine domestiqué.
Le matériau utilisé et sa technique d'assemblage évoquent une fragilité,
une vulnérabilité essentielle qu'accentue la référence à des médicaments
qui ont été consommés puisqu'il n'en reste que l'emballage.
Entre peau fragile et armure protectrice, le spectateur hésite, dans
un incessant aller-retour qui alterne
attraction et répulsion, sensations de solidité et de faiblesse. Il y a
aussi un évident appel à se poser la question
de ce qui se cache sous cet épiderme : corps
solide ou mou, vide ou liquide, organique ou minéral, savoureux ou
vénéneux, amical ou hostile… Une façon, pour le regardeur, de faire migrer ses propres obsessions,
ses détresses inavouables, en dehors des limites de sa propre écorce
corporelle, puis de les matérialiser pour mieux les appréhender…
La plastique du plastique s'échoue sans issue quand le temps-taculaire s’immisce.
Alphonsine David, inlassable céphalopode, ne renonce à
aucune altération pour déballer ses emballages, les écoper, les
torsionner, les contraindre à balancer : l'intérieur, le vide possible,
le plein impossible, le nu et le liquide,
l'organique final, comme une joute allègre et désenchantée.
Blisters de médicaments, films alimentaires, verres superflus
ne protègent ni ne contiennent mais révèlent l'insondable détresse quand sont atteintes
les plus extrêmes limites de la migration hors de soi et du monde, ou à rebours,
en soi et en le monde.
De la coupe aux lèvres, l'obsessionnel pulsionnel maternel est absorbé dans des vertiges que relient les fils ténus de nos représentations dans des récupérations suspendues au-dessus
de nos désirs insatiables.
Mais quand les plus intimes fondements sont en crise, fondus et enchaînés, que reste-t-il donc à récupérer ?